dimanche 7 août 2011

Demnat : grandeur et décadence

Il fut un temps ou Demnat comptait parmi les villes les plus importantes au Maroc, au point qu'un investisseur de la fin du 18ème siècle ait décidé de créer un service postale privé la reliant à Marrakech.
La ville sombre aujourd'hui dans l'oubli et la désolation, depuis qu'elle n'a plus de rôle à jouer dans le commerce jadis prospère entre Marrakech et les tribus de l'Anti-Atlas.



Voici un portrait de Demnat dressé en 1883 par le français Georges de Foucault, tiré de son livre "Reconnaissance au Maroc" : 

"Cette ville est le siège d’un caïd qui gouverne la province de Demnat ; celle-ci a pour limites : au nord, les Sraghna ; à l’est les Ntifas et les Ayt Boualli ; au sud,les pentes supérieures du grand Atlas ; à l’ouest,les Glawa et les Zemran.

Demnat est entourée d’une enceinte rectangulaire de murailles crénelés, garnies d’une banquette et flanquées de tours ; le tout est en bon état, sans brèches ni portions délabrées. Trois portes donnent entrée dans la ville.
La Qasba a son enceinte à part et est bordée de fossés, ceux-ci,les seuls que j’ai vu au Maroc, ont 7 à 8 mètres de large sur 4 ou 5 metres de profondeur et sont en partie remplis d’eau. Au milieu de ce réduit, s’élèvent la mosquée principale et la maison du caïd .

Muraille, Kasba, mosquée, maisons, toutes les constructions de la ville sont en pisé ; rien n’est blanchi, sauf la demeure du caid et le minaret qui l’avoisine. Le reste est de la couleur brun sombre qui distingue les habitations depuis Boul jaad. L’intérieur de l’enceinte est aux deux tiers couvert de maisons, en bon état, quoique mal bâties. Le dernier tiers est occupé partie par des cultures, partie par la place du marché : point de terrains vagues ,point de ruines ; en somme, air prospère. La population est d’environ 3000 âmes, dont 1000 israélites ; ceux-ci n’ont pas de Mellah ;ils habitent pèle mêle avec les musulmans qui les traitent avec une exceptionnelle bonté. Demnat est Sefrou sont les deux endroits du Maroc ou les juifs sont le plus heureux. Il y a d’autres rapprochements à faire entre ces deux villes, dont les points de ressemblances frappent l’esprit : même situation au pied de l’Atlas,à la porte du Sahara, population égale, et composée d’une manière semblable ; prospérité presque pareille ; même genre de trafic ; même caractère doux et poli des habitants ; même ceinture d’immense et superbes jardins. En un mot, ce que Sefrou est à Fes, Demnat l’est à Marrakech. Le commerce de Demnat est le suivant : Les tribus de l’Atlas et du sahara (Dades,Todra) viennent s’y approvisionner de produits européens et d’objets fabriqués dans les villes marocaines, tels que cotonnades, sucre, thé, parfumerie, bijouterie, beleras ; elles y cherchent aussi des grains, mais en petite quantité. En échange, elles apportent des peaux, des laines et des dattes, que les habitants de Demnat expédient à Marrakech.

Ce commerce, florissant autrefois, a fait la richesse de la ville, il est en décadence depuis quatre ou cinq ans. A cette époque, le sultan envoya un Amin d’une rapacité telle que le trafic ne fut plus possible :tout ce qui passait les portes de la cité était, quelle qu’en fut la provenance, frappé d’un droit arbitraire si élevé que bientôt les tribus voisines et les caravanes du sud désertèrent ce marché et se portèrent en masse sur Marrakech ou elles se fournissent à présent.

Demnate est entourée de toutes parts d’admirables verges, les plus vastes du Maroc. Au milieu d’eux sont disséminés une foule de villages se touchant presque, qui forment comme des faubourgs de la ville. Ces jardins sont renommés au loin ; leur fertilité, leur étendue, la saveur et l’abondance de leurs fruits, les excellents raisins qui s’y récoltent sont légendaires.

Presque contigus aux vergers de Demnate, s’en trouvent d’autres très célèbres que nous avons traversés en venant : ceux d’Ait OuAoudanous. Ils rappellent un triste exemple de la rapacité du sultan et de la malheureuse condition de ses sujets. Ces jardins, domaine immense et merveilleux, foret d’oliviers séculaires et d’arbres fruitiers de tout espèce, arrosés par des ruisseaux innombrables, appartenaient, il y a quelques années, à un homme fameux par ses richesses et son luxe, Ben Ali ou El Mahsoub, dont la vaste demeure s’élève encore au sommet d’un mamelon qui les domine. Cette fortune énorme, cette ostentation, ce pouvoir, portèrent ombrage au sultan.
Soit pure cupidité, soit crainte de l’influence croissante d’un homme aussi puissant, il le fit une nuit surprendre, saisir,emmener : on le jeta en prison dans l’île de Mogador. En même temps, ses biens furent confisqués et réunis à ceux de la couronne. J’appris plus tard à Mogador que le malheureux Ben Ali, qu’on connaissait sous le nom d’El Demnati, avait, après plusieurs années de captivité, obtenu sa liberté au prix de tous ses biens, mais il n’en jouit pas. A sa sortie de prison, à la porte de Mogador, il mourut.""


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